
Entre 1998 et 2008, le rap français, qui avait fini d’essuyer les plâtres, a pu grandir et considérablement évoluer. Marqué par l’émergence de nouveaux artistes, l’ascension du rap conscient, les débats sur la censure et la commercialisation de plus en plus poussée du genre, ce dernier est entré dans une période d’effervescence créative et populaire, pendant laquelle les compilations Première classe ont vu le jour (1999), Booba a fait ses premiers pas en solo (Temps mort, 2002), Nicolas Sarkozy a attaqué les groupes Sniper et La Rumeur en justice (à partir de 2002) et le polémiste Éric Zemmour a taxé ce courant musical de « sous-culture d’analphabètes ».
En 1998, du beau monde se bouscule au portillon. Suprême NTM, Opéra Puccino, Détournement de son, Si Dieu veut…, Heptagone, Quelques gouttes suffisent… ou Le Combat continue sortent les uns après les autres dans les bacs, pendant que le piano et le violon finissent de s’installer dans les boucles des beatmakers. Au tournant du millénaire, le rap français voit l’émergence d’une nouvelle vague d’artistes, dont certains vont atteindre des chiffres de ventes jamais vus jusque-là. Diam’s, Sinik, Booba ou encore Rohff font leur entrée dans le « rap game » et réinventent les codes du genre. Avec des textes affutés, à messages, et des flows innovants, parfois tranchants, ils posent les bases d’une ère nouvelle, plus mélodique et engagée.
Les années 2000 sont en effet marquées par une croissance exponentielle du rap dit conscient, incarné par des artistes comme Abd al Malik, Kery James, Rocé ou Médine. Ces rappeurs abordent volontiers des thématiques sociales, politiques et culturelles, proposant à l’auditeur, en plus des ego-trips typiques du genre, une réflexion plus profonde sur la société, le racisme, la banlieue ou encore la religion. Le rap devient alors un véritable outil de prise de conscience et d’éducation pour la jeunesse urbaine et/ou défavorisée, parfois résumé en « CNN des banlieues ».
Débats autour de la censure
La provocation et la critique sociale étant devenues centrales dans bon nombre de textes, le rap français se retrouve au cœur de polémiques. Des artistes tels que La Rumeur ou Sniper sont accusés d’incitation à la haine ou de misogynie, provoquant débats nationaux et interventions politiques. La plus connue demeure évidemment celle, particulièrement déterminée, de Nicolas Sarkozy, qui vouait manifestement le genre aux gémonies. La mise en place de procédures judiciaires à l’encontre des MC français témoignent des tensions, sujettes à interprétation, entre liberté d’expression et limites légales. Il y a cependant derrière ces débats un énorme malentendu (pour ne pas dire un impensé) : là où le rap exploite l’emphase et l’outrance à des fins artistiques, satiriques ou caricaturales, beaucoup se contentent de traduire de manière littérale les lyrics débités par les artistes. Au lieu de se pencher sur le fond du message, ils s’arrêtent à sa forme, voire à l’apparence du messager.
Le rap et le marché de la musique
Si le rap a été longtemps perçu comme un genre musical de niche, malgré quelques succès notables (« Je danse le mia » date de 1993), la période 1998-2008 entérine sa commercialisation massive. Des artistes tels que Diam’s, Booba, Rohff, IAM, 113, Sniper ou la Fonky Family rencontrent un succès phénoménal. Les majors s’intéressent de plus en plus au genre – elles récupèrent des têtes d’affiche comme MC Solaar – et la frontière entre rap underground et rap mainstream devient de plus en plus floue, générant des questionnements sur l’authenticité et la direction que prend le rap français. La station radio Skyrock nourrit d’ailleurs le débat, se voyant accusée par certains rappeurs, dont ceux de la Scred Connexion, d’influencer le marché du disque et de promouvoir des contenus formatés.
La diversification du rap français
En parallèle de ces évolutions, le rap français s’enrichit de diverses influences. Le rap électro et la nouvelle scène apparaissent, avec TTC ou La Caution, tandis que le rap festif, plus léger, parodique, ouvre les bras à Fatal Bazooka. Ces « métissages » témoignent de la capacité du rap à s’adapter, à évoluer et à intégrer de nouveaux horizons, faisant de lui un reflet fidèle de la diversité musicale.
Les années 1998-2008 constituent une période charnière pour comprendre le rap français et son évolution. C’est durant cette période qu’il s’est affirmé comme un véritable phénomène socioculturel, porteur des préoccupations, des espoirs et des défis d’une génération entière.
J.F.

Laisser un commentaire