De la VHS à la VOD, les mécaniques évolutives de la cinéphilie

La mutation des formats de diffusion et de consommation de films a modifié en profondeur le rapport des cinéphiles à leur passion. De la VHS à la vidéo à la demande (VOD), en passant par le DVD et le Blu-Ray, chaque étape de cette transformation a induit ses propres impulsions, remodelant touche par touche la manière dont les cinéphiles interagissent avec l’objet filmique, aujourd’hui largement dématérialisé.

Avant l’avènement de la VHS, la vie d’un cinéphile était indissociable de l’expérience collective des salles obscures. Pour voir un film, il fallait impérativement se déplacer, assister à une projection publique en présence de tiers, amalgamer son ressenti à l’expression de leurs émotions et ce, pendant la courte période où le film demeurait à l’affiche, souvent limitée à quelques semaines. Les cinéphiles étaient alors contraints par les horaires et les lieux de projection, et l’accès à un film restait éphémère et irréversible : une fois déprogrammé, le voir devenait tout bonnement impossible, à moins qu’il ne fasse l’objet de diffusions additionnelles et ultérieures dans le cadre d’une rétrospective ou d’un ciné-club.

Ces derniers constituaient d’ailleurs des lieux de prédilection pour les cinéphiles. Ces associations, souvent informelles, organisaient des projections de films classiques, rares ou jugés pertinents, dans un but d’éducation et d’échange. Les amateurs de cinéma y trouvaient une communauté de pairs avec qui partager leur passion, débattre des œuvres et approfondir leurs connaissances du septième art. En parallèle, les cinéphiles devaient également se fier, bien plus qu’aujourd’hui, aux critiques parues dans les journaux généralistes et revues spécialisées. Elles leur permettaient de se faire une idée plus précise des films à voir. À une époque où la cinéphilie était extérieure au foyer et plus chronophage qu’aujourd’hui, le rôle des critiques apparaissait primordial, à tel point que certains d’entre eux, comme ceux de la Nouvelle Vague en France, venus des Cahiers du cinéma, ont eu une influence déterminante sur la fixation des goûts et des attentes de leur époque.

La cinéphilie avant la VHS se caractérisait donc par l’éphémère et le public ; la découverte d’un film s’appréhendait comme une expérience unique et précieuse. Et puis, un beau matin, presque sans prévenir, le cinéma s’est invité à domicile…

Étoiles sur canapé

La VHS, en première instance, a occasionné une rupture significative avec le monopole des salles de cinéma dans le processus de diffusion des films. C’est avec l’arrivée de ce format de bande magnétique que la cinéphilie a pénétré dans l’intimité des foyers, permettant un accès décalé dans le temps, selon les envies des spectateurs, à des œuvres jusque-là éphémères dans le circuit de projection. Les cinéphiles ont acquis la possibilité de voir et de revoir des films à leur gré, de les apprécier avec plus d’attention, voire de les effeuiller à force de passion et d’insistance. Avec la VHS est née la collection personnelle, pendant que s’établissait un nouveau rapport avec les œuvres, procédant par révisions et approfondissements. 

En croissance exponentielle depuis la fin des années 1990, le DVD a quant à lui non seulement amélioré la qualité de l’image et du son, mais il a également apporté une interactivité nouvelle et inédite avec le spectateur. Les bonus, interviews de réalisateurs, making-of et commentaires audio ont donné du grain à moudre aux cinéphiles, en leur offrant une vision plus détaillée des coulisses des films et en les inscrivant dans un contexte souvent explicité. Cela a engendré une compréhension plus fine, technique et critique du cinéma.

Le passage au Blu-Ray a accentué ces tendances, avec une qualité de support accrue et une capacité de stockage plus importante, permettant d’ajouter des contenus supplémentaires. Ce format a renforcé l’idée d’une cinéphilie exigeante et qualitative. Concomitamment, le streaming, légal ou non, s’est développé et démocratisé. L’avènement des plateformes de VOD a marqué une nouvelle étape, peut-être plus complexe, dans l’évolution de la cinéphilie. 

D’un côté, elles ont offert un accès sans précédent à un catalogue de films quasi inépuisable, rendant possible la découverte d’œuvres issues du monde entier, de toutes époques et de tous genres. De l’autre, la dématérialisation du film, réduit à un simple fichier numérique, a remis en cause, de manière définitive, le rapport matériel à l’œuvre. Pis, l’algorithme de recommandation, caractéristique fondamentale des plateformes de VOD telles que Netflix ou Prime Video, a introduit une nouvelle forme de curation, qui peut orienter, voire entraver, la diversité des choix cinématographiques. De la même manière qu’une bulle filtrante influence notre expérience sur les réseaux sociaux, ces services vont chercher à exposer leurs utilisateurs à des contenus conformes à leurs centres d’intérêts et visionnages précédents, les renfermant peu à peu dans un moule distinctif dont il peut devenir difficile de s’extraire.   

Une transformation graduelle

De la VHS à la VOD, chaque innovation technique a remodelé la cinéphilie, ouvrant de nouvelles voies vers l’expérience cinématographique, mais soulevant également de nouvelles problématiques. La démocratisation progressive de l’accès aux films s’est accompagnée d’une dématérialisation qui a profondément affecté le rapport à l’œuvre. L’interactivité et l’accès à des informations plus pointues et techniques ont favorisé une approche avertie et mieux documentée du cinéma, mais ils ont aussi contribué à l’essor d’une cinéphilie parfois taxée d’élitisme. 

De ces changements, la VOD est peut-être le plus notable. Elle a fondamentalement modifié la dynamique d’accès au cinéma. Contrairement aux formats physiques tels que la VHS, le DVD et le Blu-Ray, elle offre un accès instantané à un vaste catalogue de films, sans contraintes matérielles ou géographiques. Cette accessibilité sans précédent a ouvert de nouvelles opportunités à la cinéphilie et ses faux nez – dont le binge watching, plus compulsif qu’érudit. En outre, l’interface numérique des plateformes de VOD a introduit l’algorithme au cœur de la sélection filmographique. En promouvant certains contenus sur base de critères arbitraires, affinitaires et/ou souvent inconnus, ces services altèrent peu à peu les goûts, les attentes, les perspectives et, au bout de la chaîne, les cahiers des charges des studios. Le mouvement est lent, presque imperceptible, mais il fait son œuvre, indéniablement. 

Il reste à voir comment la cinéphilie évoluera à l’avenir, mais une chose semble entendue : notre manière de consommer et d’apprécier le cinéma est conditionnée par ces interactions complexes entre l’œuvre, le spectateur et le support qui les relie. Une constante que rien ne devrait altérer.

L.B.


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