
C’est un secret de Polichinelle : le cinéma français ne reflète pas la diversité de la société. Dominé par des personnages masculins, blancs, hétérosexuels, urbains et occupant des fonctions élevées, généralement de cadres, le grand écran hexagonal portraiture un monde qui ne correspond aucunement aux réalités démographiques ou sociales de la population française.
Ce constat, confirmé par une étude récente du collectif 50/50, est alarmant. Les cadres ont beau ne représenter que 18% de la population française, ils incarnent 51% des personnages principaux dans le cinéma français. À l’inverse, les ouvriers et les employés, qui constituent pourtant 48% de la population générale, se voient réduits à leur portion congrue, à hauteur de 23%, dans les films. Cette disproportion atteste d’un manque évident de diversité dans les récits cinématographiques français.
Mais ce n’est pas le seul problème. Quand elle est mise en scène, la diversité ethnique, déjà sous-représentée, est également caricaturée. Les femmes issues des minorités sont infiniment moins représentées que les hommes. De plus, ces personnages sont souvent cantonnés à des rôles négatifs et ingrats, par exemple de jeunes délinquants, renforçant ainsi les mécanismes de stéréotypisation négative.
Il est urgent de questionner cette représentation déformée. L’une de ses explications plausibles pourrait résider dans le fait que les scénaristes et les réalisateurs sont majoritairement issus des classes moyennes supérieures, ce qui pourrait les dissuader de porter à l’écran des sujets et personnages qu’ils maîtrisent mal, qui leur sont moins familiers. De plus, l’accès aux écoles de cinéma et le financement des premières années de carrière constituent des barrières à l’entrée pour de nombreux jeunes talents issus de milieux plus modestes.
Certains chiffres ne trompent pas. Sur les 2600 rôles proposés dans les films français sortis en 2017, seulement 171 ont été attribués à des actrices ou acteurs noirs. Pourtant, lorsque des films se distinguent par leur diversité, le public est au rendez-vous. Et le cinéma hexagonal abrite des stars de toutes origines, dont le comédien Omar Sy ou le réalisateur Ladj Ly. Cela suggère que le public ne rechigne pas à voir des récits plus diversifiés et représentatifs de la société dans laquelle il vit.
Il apparaît dès lors essentiel que l’industrie cinématographique française prenne des mesures concrètes pour encourager et faciliter la diversité dans la création de films. Cette dernière doit d’ailleurs inclure le handicap, les LGBTQ+ et… les femmes de plus de cinquante ans. Car il ne faut pas l’omettre, dans la tranche des 50-64 ans, seulement 12% des rôles principaux sont féminins. Tout cela pourrait passer par une plus grande accessibilité des écoles de cinéma, un soutien financier pour les jeunes talents et une volonté réaffirmée de raconter des histoires qui reflètent, enfin, la société française dans toutes ses nuances.
Le cinéma possède un pouvoir immense, celui de façonner notre perception du monde, de nourrir un imaginaire collectif. C’est donc un enjeu central d’en faire le digne ambassadeur de la complexité et de la multiplicité de la société actuelle. Et si au passage, on féminisait davantage la réalisation de films, on équilibrait les budgets dévolus aux hommes et aux femmes, on permettait à ces dernières de tourner autant que leurs homologues masculins, le monde ne s’en porterait probablement pas plus mal.
Car c’est un autre combat, moins visible, de coulisses, mais tout aussi important : sur les 2876 films réalisés entre 2013 et 2022, moins de 25% l’ont été par des femmes, moins du quart disposaient d’un budget supérieur à 4 millions d’euros. Ce qui conditionne, en parallèle, les salaires perçus par ces réalisatrices. Le chemin à parcourir semble encore long…
J.F.

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