Arrêt de jeu : l’envers du football

Dans Arrêt de jeu (La Boîte à bulles), l’ancien footballeur semi-professionnel Maxime Schertenleib rapporte son vécu de l’intérieur. Ce premier album, une autofiction critique sur le monde du ballon rond, énonce ce qui a gangréné son plaisir de fouler les terrains et été le vecteur d’un puissant désenchantement.

Comme des millions d’enfants, dès son plus jeune âge, Maxime Schertenleib est passionné par le football. Inspiré par des joueurs emblématiques comme Xavi ou Ronaldinho, dont il admire les exploits à la télévision, il rêve d’en faire son métier et de se frotter au gratin de la discipline. Cet espoir commence à prendre forme des années plus tard, quand il rejoint une équipe semi-professionnelle. Là-bas, il est rapidement confronté aux réalités amères du ballon rond : il doit muscler son jeu, faire preuve d’un engagement constant, se montrer plus rapide, technique et rusé que ses adversaires. La quête de la performance dans un environnement hautement concurrentiel devient une lourde contrainte, qui tend à transformer un plaisir en une source de stress et de souffrance, tant physique que mentale.

C’est ce processus de désenchantement que raconte Arrêt de jeu. Sur le terrain et dans les vestiaires, Maxime Schertenleib découvre un sport qui évolue avec ses propres règles et formes de pression. Les blessures physiques, les injonctions à la performance, les commentaires humiliants, les comportements virilistes ou homophobes sont omniprésents. « T’avais qu’à t’inscrire à la danse classique si tu voulais pas prendre des coups », justifie-t-on après un contact rugueux. Et l’auteur d’expliquer : « C’est particulier lorsqu’une chose que tu as toujours aimé faire devient une contrainte. » Cela se matérialise graphiquement, puisqu’il se représente jouant au football avec un masque, rude et dominant à l’extérieur mais pétri de doutes à l’intérieur. Il avoue d’ailleurs avoir disputé ses matchs avec une peur diffuse qui n’a cessé de grossir « jusqu’à tout ensevelir ».

Arrêt de jeu en témoigne : derrière chaque action sur le terrain se cachent des exigences démesurées et des critiques parfois acerbes. Après avoir raccroché les crampons pour suivre un cursus artistique à Bruxelles, Maxime Schertenleib prend conscience des difficultés à s’éloigner du football. Il est continuellement exposé à des discussions autour du ballon rond : commentaires des passants, émissions télévisées, paris sportifs ou raisonnements stupides sur les discriminations. Ces expériences prolongent son malaise et nous poussent à réfléchir sur la place du football dans la société. Le jeune homme réalise par ailleurs que même dans un cadre moins compétitif, en rejoignant une équipe de copains, la violence et l’orgueil persistent, révélant une culture profondément enracinée dans ce sport.

« Le piège s’est refermé sur moi. » Les cadeaux, les voyages et la célébrité associés au statut de footballeur semi-professionnel invitent à faire fi des zones d’ombre : l’homophobie, la masculinité toxique, les humiliations, les mauvais gestes… Dans son autofiction, Maxime Schertenleib s’échine à peindre un tableau honnête et sans concession de son parcours, en mettant en lumière les contradictions et les souffrances inhérentes à la vie de sportif. Il déconstruit ainsi la manière dont l’ivresse peut, momentanément ou définitivement, faire oublier le flacon, bien qu’il ait finalement choisi de se réaliser et s’exprimer à travers la narration visuelle. 

L’album, en trois couleurs – vert, noir et blanc –, se sert souvent des interactions de l’auteur avec une jeune femme, Mélanie, pour exposer de manière spontanée ses sentiments et états d’âme. Très réussi, Arrêt de jeu s’inscrit dans un contexte plus large qui tend à problématiser le football à la veille du championnat d’Europe, aux côtés d’œuvres telles que Le Maillot de la discorde (éditions Steinkis) ou Un dernier tour de terrain (éditions Bamboo). Dans le cas présent, c’est le dilemme entre l’amour pour le jeu et le bien-être de Maxime qui va constituer le fil conducteur du récit. Et permettre d’épingler, avec acuité et sensibilité, toute une série de comportements nocifs dont le football peine à se défaire.  

J.F.


Arrêt de jeu, Maxime Schertenleib – La Boîte à bulles, juin 2024, 128 pages

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